Jérôme Hamelin : « Moins j’y vois et plus ma vie est belle. »

 Dans Savoyard de coeur

Elu « Sportif du mois » en janvier par les internautes du Dauphiné Libéré en Savoie, Jérôme Hamelin s’étonne d’être mis en avant. « J’aime ce que fais, dit-il, et je trouve touchant qu’on ait voté pour moi ». Modeste, tenace, il s’entraîne huit fois par semaine avec une idée en tête : participer aux prochains Jeux paralympiques de Tokyo.

La culture de l’effort

Dès l’enfance, Jérôme est mis à contribution dans la ferme familiale près de Cherbourg, dans la Manche. Son père loue des chevaux de promenade sur les plages de Normandie et élève aussi vaches et moutons. « Avec mes trois sœurs, on passait des weekends entiers à l’aider. Ça améliore l’humain d’être attentif aux animaux ! »

A l’âge de 8 ans, Jérôme est déjà un fervent amateur de rugby… avant de se tourner vers l’aviron. « J’avais découvert l’aviron de mer à l’école et je suis revenu vers ce sport. Il m’a enlevé toutes les contraintes liées au problème de vue qui m’a progressivement empêché de suivre le ballon et de jouer en équipe. »

 

Le sport et l’autodérision : la thérapie anti-déprime

Atteint de rétinite pigmentaire, une dégénérescence qui amène à la cécité complète, Jérôme traverse « quelques années de galère » avant de reprendre confiance.

« Mes armes pour me construire, me découvrir, m’épanouir, c’est le sport et l’humour. J’aime bouger, rire de moi-même. La vie est un bonheur, quelle que soit notre situation. Je fais de plus en plus de choses, je vais à l’essentiel. Je m’éclate tous les jours. »

 

 

Quand il ne travaille pas à la mise en rayon chez Castorama, son métier depuis cinq ans, Jérôme s’entraîne. Il ne s’arrête que le dimanche après-midi, pour laisser son corps se reposer sur injonction des coachs ! Il apprend l’harmonica, fait du yoga… mais « Je perdrais une partie de moi-même si je n’avais pas le sport » reconnaît-il. Il fait l’impasse sur les soirées entre amis pour partir en randonnée, », courir ou grimper sur les « blocs » (des murs de 4 m), sans assurance, défier le vide sur les via ferrata « c’est tellement chouette d’être sur la falaise ! »  Après l’épidémie de Covid-19, il aimerait entrer en équipe de ski de fond.      « La seule contrainte, quand on y voit mal, c’est la douleur. Se cogner fait partie de notre vie. Quand la psychologue qui me suit me demande ce que m’apporte la maladie, je réponds « des bleus«  ! »

 

Un palmarès haut de gamme

Arrivé en 2016 en Savoie, Jérôme s’entraîne avec assiduité au club d’aviron d’Aix-les-Bains.

Il gagne une première compétition, la tête de rivière de Belley, en décembre 2016 et rejoint l’Equipe de France en 2018. Il est Champion de France 2018 avec son guide, Raphaël, à Cazaubon, lors des sélections annuelles en bateaux courts. En 2019, Jérôme et son coéquipier Laurent Viala remportent la Coupe du Monde à Poznan et décrochent une médaille de bronze aux Championnats du monde d’aviron paralympiques, à Linz.

En 2021, Jérôme se prend au jeu : « Je me mets la pression juste pour l’aviron et cette année est ma meilleure année ! ».

Début février, connecté depuis le club house de l’Entente Nautique d’Aix-les-Bains, le champion de France en titre prend la 3e place mondiale derrière ses concurrents, le Français Rémy Taranto et l’Allemand Marc Lembeck, connectés au même moment à un écran partagé, pour suivre la course en direct. Un grand moment pour lui et surtout un ticket pour l’événement sportif de l’année : « J’espère bien aller à Tokyo fin août en équipage mixte. »

Avec Rémy Taranto, Antoine Jesel, Margot Boulet, Erika Souzeau, et le barreur Robin le Barreau, qu’il considère comme des amis, il rêve aussi de participer aux Championnats du monde à Shanghai, en octobre prochain, et pourquoi pas, aux Jeux Olympiques de Paris en 2024.

 

Changement de braquet

Depuis qu’il a couvert les 2000 mètres sur l’ergomètre en 6’25, Jérôme légitime sa place dans les sélections nationales. Son employeur et sponsor, Castorama, en accord avec la FFA (Fédération Française d’Aviron), a assoupli son contrat pour qu’il puisse alterner compétition et plages de repos. Son excellente forme du début d’année l’a surpris lui-même : « J’étais étonné de détrôner Rémy aux Championnats de France indoor alors qu’il gagnait ce challenge depuis 13 ans ! La concurrence est très saine. On est potes, c’est un vrai bon mec, et on est content l’un pour l’autre. »

Autre surprise pour Jérôme, l’intérêt des valides pour les compétitions handisport.

« J’ai fait mes premières courses internationales avec les valides et je ne m’attendais pas à ce qu’ils regardent les courses des sportifs handicapés. Quand on passe dans la catégorie handisport, on a tendance à se dévaloriser parce que la densité est moins élevée. J’ai toujours cette interprétation erronée alors que depuis dix ans, on assiste à une énorme évolution des mentalités. »

 

La gagne et la générosité

« On me dit souvent que je ne me plains pas et c’est vrai que je préfère véhiculer de la joie et des valeurs de solidarité. Quand je sors du boulot, je vais aider les gens. J’ai le projet d’apporter mon soutien aux enfants malades avec l’association Rêves.»

Cette attitude positive, Jérôme affirme qu’elle lui est inspirée par toutes les mains tendues : « Les gens autour de moi savent que j’ai besoin de leur aide et je les remercie infiniment d’être là pour moi. Quand je rame, les jeunes du club me guident sur l’eau, au ski aussi on m’oriente et c’est chouette à vivre. J’ai fait un trail cet hiver ; pour trouver le chemin, je suivais une fille qui courait devant moi. Elle m’a proposé de la doubler. Je lui ai expliqué pourquoi je préférais rester derrière elle pour dissiper tout malentendu (rires) et on a fait 8 km de descente ensemble pour finir le parcours. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de la championne de ski Laura Desplanche. Ma maladie m’apporte des moments d’échange incroyables ! »

Copyright photo : portrait n&b : Nicolas Boulandet – photo couleur : photo FFAviron

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